Euro Détachement

 
Les partenaires sociaux ne sont pas a priori des acteurs de la régulation des situations de détachement. Aucun rôle ne leur est ainsi spécifiquement reconnu par le cadre juridique et institutionnel communautaire existant en matière de détachement. Pour autant, ils agissent car les besoins existent. Du côté des organisations d'employeurs, il s'agit de sécuriser les prestations de service pour les entreprises. Il s'agit d'abord pour les entreprises donneuses d'ordre de connaître la fiabilité sociale et fiscale des prestataires pour prévenir de possibles risques juridiques et opérationnels. Il s'agit aussi pour les organisations d'employeurs au niveau national et européen de faire face à la concurrence déloyale à laquelle la fraude au détachement peut conduire. Du côté des organisations syndicales, il s'agit de préserver les droits des salariés et d'éviter les conséquences d'un dumping social sur les conditions de travail et d'emploi pour les travailleurs des différents Etats membres.
Les partenaires sociaux ne jouent pas un mais des rôles distincts à différents niveaux et mobilisent différents leviers.

Les interventions des partenaires sociaux en matière de détachement des travailleurs : une diversité de registres d'action

Informer les acteurs du détachement sur le cadre juridique applicable

Dans les secteurs retenus pour le projet (construction, agriculture), les partenaires sociaux prennent en charge l'information des entreprises et des salariés. Typiquement, l'information concerne la réglementation applicable dans le pays d'accueil en cas de détachement. Elle peut ainsi porter sur les droits et devoirs des salariés détachés dans le pays d'accueil.
Mais elle peut également viser plus largement les salariés, les entreprise prestataires et les donneurs d'ordre. Le guide de l'emploi de salariés étrangers en Finlande GATEWAY publié en finlandais et en anglais est un bon exemple de ce type d'initiative.
Mais, le cadre de délivrance de l'information fournie aux acteurs sur les situations de détachement varie.
Il peut relever ainsi d'un contexte donné, comme sur le site de construction de Flamanville, où a été paritairement mis en place un site d'information spécifique et un guide des droits des salariés rédigé en cinq langues et remis par le maître d'ouvrage dès qu'un nouveau salarié pénètre sur le chantier. Site Flamanville France


Il peut également prendre la forme de réunions publiques à destination de travailleurs susceptibles d'être détachés. C'est le cas de la collaboration mise en place dans le secteur agricole entre l'organisation syndicale française FGA CFDT et l'organisation syndicale bulgare, NFZGS Podkrepa. Information syndicale France Bulgarie

Sensibiliser les acteurs du détachement et former les salariés

Au-delà de la délivrance de l'information, les partenaires sociaux, le cas échéant en partenariat avec les autorités publiques, adoptent des stratégies ciblées. C'est le cas par exemple de la convention multipartite de la province du Hainaut qui prévoit l'organisation de journées de sensibilisation. Convention Hainaut Belgique




Au-delà de la seule sensibilisation, la santé et sécurité au travail peut donner lieu, en raison des risques encourus dans les secteurs analysés, à des actions spécifiques qui ressortissent davantage de la formation. Les partenaires sociaux de la construction au Danemark ont ainsi élaboré un site internet en plusieurs langues (outre le danois, l'anglais, l'allemand et le polonais) offrant un matériel pédagogique attractif pour un ensemble de métiers spécifiques du secteur.

Accompagner les salariés détachés dans le pays d'accueil

Les limites associées à l'information des salariés détachés conduisent à isoler des initiatives dont la logique n'est pas toujours d'offrir une information directement mobilisable par le travailleur détaché. Dans une perspective différente, il s'agit, tout particulièrement pour les organisations syndicales, de se positionner comme des ressources vers lesquelles peut se tourner le travailleur détaché. En d'autres termes, il est ici question d'accueillir et d'accompagner les travailleurs étrangers. Des initiatives de ce type supposent une stratégie d'approche et de mobilisation adaptée, les travailleurs détachés étant souvent peu visibles et peu atteignables.

Information travailleurs Belgique

On trouve un écho de cette orientation, axée sur l'accompagnement concret des salariés, dans l'idée de développer plus largement l'information sur des points de contact accessibles aux salariés détachés ou aux entreprises au sein des pays d'accueil, perspective largement relayée au travers de nos ateliers. Les actions telles que celles initiées par la FGA CFDT /NFZGS-Podkrepa empruntent pour partie à cette logique qui conduit à faire des partenaires sociaux des ressources mobilisables à côté des autorités publiques, notamment auprès des bureaux de liaison qui, dans certains pays (Belgique, Luxembourg), assument des fonctions d'information/accompagnement des acteurs.

Alerter les autorités publiques sur les pratiques potentiellement frauduleuses

Cette fonction, notamment au sein des pays d'accueil, semble essentielle, tant il semble illusoire que les autorités publiques de contrôle puissent à elles seules disposer d'une connaissance autre que parcellaire des opérations impliquant le détachement de travailleurs. La structuration d'une collaboration entre partenaires sociaux et autorités publiques peut être formalisée sous la forme d'accords, de chartes ou de conventions de partenariat. On trouve trace d'une telle formalisation dans certains des pays impliqués dans le projet. En France, un tel rôle, confié aux partenaires sociaux, est par exemple explicite dans le cadre plus général de la lutte contre le travail illégal, au travers de conventions de partenariat pour la lutte contre le travail illégal dans le travail temporaire signée le 10 mai 2006

Bureau de liaison France

ou encore, en Belgique, au travers de les conventions de partenariat dans différents secteurs d'activité Bureau de liaison Belgique

Contrôler l'application des règlementations en vigueur

Le rôle d'alerte que sont amenés à jouer les partenaires sociaux à l'égard de potentielles fraudes sociales témoigne en lui-même de leur implication dans les actions de contrôle. Reste qu'au-delà de l'association à des actions répressives, cette implication peut également ressortir de la prévention des comportements illégaux. A ce titre, il faut mentionner que la convention de la province du Hainaut prévoit une analyse des contrats d'entreprise. La convention stipule ainsi que les contrats d'entreprise conclus entre les maîtres d'ouvrage et les entrepreneurs ou entre les entreprises générales et les sous-traitants peuvent être examinés au regard des prix fixés pouvant révéler le recours à du travail illégal (la "faisabilité" du contrat est analysée sous l'angle de la formation du prix et des délais de livraison prévus, compte tenu du nombre de travailleurs employés et du volume de prestations fixé pour ces travailleurs). Convention Hainaut Belgique


Les partenaires sociaux ont naturellement vocation à être associés à ce travail, quand bien même la convention prévoit que tel ou tel contrat d'entreprise n'est communiqué aux partenaires sociaux que lorsqu'il est anonymisé.
On trouve cependant ailleurs en Europe des modalités d'implication des partenaires sociaux dans les activités de contrôle encore bien davantage développées. On peut ainsi citer des initiatives sectorielles significatives dans des pays où l'importance du niveau de dialogue social est grande.
Aux Pays-Bas, le SNCU (Stichting Naleving CAO voor Uitzendkrachten) Bureau de contrôle néerlandais

Le bureau de contrôle de l'application des règles de la convention collective applicable dans le secteur des agences de travail intérimaire a été constitué en février 2004 par les syndicats (FNV Dienstenbond, CNV Dienstenbond et De Unie) et les organisations d'employeurs du secteur (ABU et NBBU). Il a été créé dans la droite ligne des négociations sur le renouvellement de la convention collective applicable au secteur des agences de travail intérimaire. La création de ce bureau a été essentiellement motivée par le désir commun de lutter contre la concurrence déloyale et le dumping salarial dans le secteur.
Il poursuit plusieurs objectifs : fournir des informations et conseils aux entreprises utilisatrices, aux travailleurs intérimaires et aux agences de travail intérimaire, coopérer avec d'autres autorités, promouvoir le respect des conditions fixées par la convention collective et des dispositions du fonds social, mais aussi surveiller le respect de ces conditions et dispositions et surveiller les dérogations aux conditions fixées par la convention collective.
Il a mis en place un centre d'aide et une ligne d'assistance,
un site web spécifique pour les alertes.
Un niveau encore plus marqué dans les actions de contrôle se retrouve enfin dans certains Etats membres.
Nous touchons ici aux différences profondes caractérisant les systèmes de relations sociales au sein de l'UE. Les systèmes d'acteurs sont différents et réservent une place plus ou moins importante dans l'édiction et l'application des règles sociales aux partenaires sociaux. Il faut en particulier souligner que dans certains pays, notamment la Suède et le Danemark, ce sont les partenaires sociaux et non pas l'Etat qui définissent, au travers de conventions collectives, nombre des règles applicables aux relations de travail. Dans ces situations, la place laissée aux partenaires sociaux est donc très importante : au Danemark, ce sont ainsi ces derniers qui sont en charge de contrôler l'application des conventions collectives, sources essentielles de régulation des relations de travail.
En Finlande, les partenaires sociaux ont aussi un rôle important. Ils concluent les accords collectifs qui sont généralement d'application contraignante et assurent la surveillance de leur bonne application, conjointement avec l'inspection du travail finlandaise.
Dans ce contexte, l'intervention des partenaires sociaux sur les situations de détachement est logiquement plus forte que dans les pays où l'Etat dispose d'un rôle central en matière sociale. Ainsi, au Danemark, lorsqu'une entreprise principale affiliée à l'organisation patronale contracte une prestation avec une entreprise étrangère détachant des travailleurs, et que le prestataire ne respecte pas la convention collective applicable, l'organisation syndicale peut, dans les 48 heures, provoquer une rencontre sur le site pour engager un processus de négociation de l'application de la convention collective par l'entreprise prestataire. La charge de la preuve de la bonne application de la convention collective revient au prestataire.

Agir sur le marché du travail

A côté des leviers, que l'on pourrait dire traditionnels, de régulation des situations de détachement, le projet a permis de révéler et discuter d'autres modalités d'action. Ces dernières donnent un rôle de premier plan aux partenaires sociaux. Il en est ainsi des dispositifs sectoriels mis en place dans certains pays de l'UE, et notamment ceux préférentiellement en situation de pays d'envoi. Nous renvoyons ici aux actions susceptibles d'être déployées par des fonds paritaires sectoriels aux fins de développer l'attractivité du secteur et assurer une qualification des travailleurs.

Initiative SASeC Roumanie


Ce type d'outils ouvre des potentialités pour réguler le détachement.
En premier lieu, développer l'attractivité d'un secteur par la formation offerte aux travailleurs est un moyen de garantir une montée en compétences et donc une capacité concurrentielle accrue aux entreprises du pays d'envoi, notamment dans le cadre de marchés de sous-traitance initiés par de grands donneurs d'ordre. De la sorte, se met en place ce que l'on pourrait qualifier de contre incitation au recours à une sous-traitance par des intermédiaires peu scrupuleux, que ces derniers proposent des services directement ou agissent comme de simples fournisseurs de main d'œuvre.

En second lieu, on peut attendre de telles actions de formation qu'elles participent d'un certain "empowerment" des travailleurs susceptibles d'être détachés en renforçant, quel que soit le support juridique de leur détachement, leur capacité à se préserver de certains "risques professionnels" mais aussi à se défier des sollicitations peu scrupuleuses, favorisant ainsi eux-mêmes les conditions d'un recours transparent à la sous-traitance par des entreprises.

On retrouve le même type d'orientation lorsque l'on considère le développement de projets transnationaux de formation à la santé/sécurité au travail initiés par des partenaires sociaux dans certains secteurs, qui sont de nature à mieux armer, à mieux équiper les travailleurs susceptibles de se déplacer en Europe.
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Vers le développement de synergies entre partenaires sociaux et autorités publiques

L'action des partenaires sociaux se développe :
  • au plan européen, comme la création du site des partenaires sociaux de la construction FETBB / FIEC qui vise à informer les entreprises et les salariés sur les règles juridiques applicables (durée du travail, salaires minima…) dans les différents Etats membres.
  • au plan national, avec des initiatives qui se déploient sur plusieurs registres d'action, comme évoqué plus haut et en complémentarité avec celles des autorités publiques.


Mais, il est possible d'interroger si cette complémentarité peut, elle-même, déboucher plus avant sur le développement de synergies. L'action concertée entre diverses parties prenantes était au centre de notre projet. C'est pourquoi la majorité des exemples mentionnés précédemment témoignent d'une collaboration entre différents acteurs. Il est pourtant possible d'aller un peu plus loin que le constat d'un "biais" tenant aux objectifs même de notre projet.
Si, de fait, certains registres d'action identifiés peuvent très bien s'accommoder de l'action "unilatérale" de tel ou tel acteur (on songe par exemple à une campagne d'information à destination des travailleurs détachés ou des entreprises) ou de l'action "paritaire", notre projet montre que l'action des partenaires sociaux est d'autant plus pertinente et porteuse d'effets positifs qu'elle s'articule à celle d'autres acteurs, notamment les autorités publiques compétentes sur le champ du détachement.
Globalement, les pratiques discutées lors de nos ateliers montrent que la collaboration entre partenaires sociaux eux-mêmes et/ou entre partenaires sociaux et autorités publiques permet notamment de :

  • faciliter l'identification des situations à risque et donc renforcer la pertinence des contrôles publics (voir les exemples cités sous le rôle d'alerte) ;
     
  • définir des cadres et outils pour l'action plus efficaces pour prévenir de possibles abus (exemple de l'élaboration / utilisation de badges de contrôle d'accès aux chantiers de construction dans différents pays ; en Belgique, exemple aussi de la convention du Hainaut sur l'analyse des contrats d'entreprise)

    Badge social


  • agir sur la régulation sociale des "grands chantiers" dans le domaine de la construction (exemple des actions concertées des organisations syndicales avec les donneurs d'ordre).

    Site Flamanville France

    Site OL3 Finlande

Reste qu'il ne s'agit pas de plaider naïvement pour plus de coopération. On ne peut ignorer à cet égard que beaucoup d'initiatives intéressantes sont le fruit des contextes dans lesquels elles s'inscrivent. Il en va ainsi particulièrement des pratiques relevées dans certains pays tel que la Finlande dont le système d'acteurs/de relations sociales favorise une collaboration permanente entre acteurs, pré condition sans doute à une mobilisation ponctuelle conjointe dans telle ou telle situation, sur tel ou tel chantier.

Bureau de liaison Finlande


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Quelques repères méthodologiques

  • Mutualiser des informations pertinentes et utiles entre autorités publiques et partenaires sociaux, notamment par la collaboration dans la conception des données à fournir.

  • Développer le rôle fondamental d'alerte des partenaires sociaux en renforçant la proximité entre organisations professionnelles, syndicales et autorités publiques pour agir en amont.

  • Développer les démarches préventives en posant les conditions d'un dialogue entre parties prenantes le plus en amont possible pour favoriser une contractualisation.

  • Mettre à l'étude l'accès des partenaires sociaux à IMI et développer l'accès à l'information sur les entreprises prestataires.

  • Renforcer les collaborations transnationales entre les partenaires sociaux.


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