Travail réalisé à partir de l'exploitation des questionnaires envoyés aux partenaires concernés par les dispositifs, éventuellement complété par la consultation des données juridiques accessibles.
Le secteur de la construction présente plusieurs particularités justifiant une réflexion et l'adoption de mesures spécifiques permettant de répondre aux enjeux identifiés. La taille des chantiers est parfois conséquente et implique la présence simultanée et sur une longue période d'un nombre important d'entreprises, de leurs salariés et de travailleurs indépendants. La taille des chantiers rend le contrôle des conditions d'emploi et de travail plus difficile.
Le maître d'ouvrage, selon le degré de responsabilité quant aux irrégularités constatées sur le chantier dont il est le propriétaire, peut avoir un intérêt direct à mettre un œuvre un dispositif de contrôle des personnes présentes afin d'éviter que les chaînes de sous-traitance ne conduisent à des situations opaques favorisant les irrégularités dont il serait tenu pour responsable.
Le secteur de la construction est un secteur professionnel dans lequel les accidents du travail sont plus fréquents. La co-activité d'entreprises présentes nécessite une coordination et des mesures spécifiques en matière de santé- sécurité au travail. Les mesures peuvent alors viser à garantir que toute personne présente sur le chantier ait bénéficié d'une formation minimale et à garantir qu'en cas de sinistre, le maître d'ouvrage ou le maître d'œuvre soient en capacité d'assurer leur sécurité.
Parmi les partenaires impliqués dans le projet, trois ont fait part de leur expérience en matière de badge de chantier : les autorités publiques finlandaises, les parties impliquées sur le chantier de Flamanville (FR) (chef de mission EPR, chargé de la coordination, inspecteur du travail de l'ASN, organisation syndicale), les partenaires sociaux de la construction en Belgique. Leur pratique du badge est très différente, la Finlande présentant le système le plus abouti puisque applicable à l'ensemble du territoire depuis 2006.
En Finlande, le port obligatoire du badge pour toutes les personnes présentes sur un chantier est inscrit dans les règles légales en matière de sécurité et santé au travail (législation de 2006). Ces règles sont une pièce du puzzle visant à lutter contre "l'économie grise"; le dispositif global est en effet composé de la législation en matière de santé/sécurité au travail (badge, tenue des registres de personnel présent sur le chantier) et de la législation fiscale (code d'identité finlandais pour les travailleurs étrangers, n° fiscal, registre des numéros fiscaux; au 1er juillet 2014 s'ajoutera la nouvelle obligation du maître d'œuvre de fournir des données mensuelles à l'administration fiscale).
Le port de badge vise à permettre au maître d'ouvrage (propriétaire et donneur d'ordre), au maître d'œuvre et aux employeurs intervenant sur le chantier d'identifier toutes les personnes et sociétés intervenant sur le chantier. Les 3 catégories sont responsables du respect de cette obligation, l'employeur à l'égard de ses seuls salariés. Dans la pratique il appartient au maître d'œuvre de veiller à ce que chacun porte son badge.
En incluant en 2012 le n° fiscal sur le badge, le contrôle permet également de vérifier que les personnes sur le chantier sont en règle du point de vue fiscal : soit elles sont assujetties en Finlande soit elles le sont dans l'Etat d'origine en fonction des conventions fiscales conclues entre les deux Etats membres. Mais dans tous les cas la présence du n° fiscal permet de contrôler la situation de toute personne présente sur le chantier et contribue aussi à faciliter les échanges entre administrations fiscales notamment pour suivre la situation des ressortissants exerçant leur activité à l'étranger.
Tout le système devrait être informatisé et fournira à terme des informations considérables aux autorités fiscales (présence des sociétés et personnes physiques sur les chantiers, type de contrats conclus, prix des services, contrôle des obligations fiscales des personnes physiques et morales)
En Belgique, le projet de port de badge en cours de discussion entre les partenaires sociaux de la construction vise à lutter contre le travail dissimulé en permettant l'identification de l'employeur et du salarié présents sur le chantier. C'est à l'employeur qu'il appartient de veiller au port du badge par ses salariés. A terme il est prévu d'utiliser le badge pour contrôler les formations en santé /sécurité au travail des salariés.
Pour compléter ce dispositif il faut rappeler que le nouveau dispositif d'enregistrement introduit par la loi du 27 décembre 2012 vise à identifier la présence de chaque personne physique sur le chantier et permet de collecter leurs données (identité des personnes présentes, qualité et preuve de leur identité). Elles alimentent une base de données gérée "par l'autorité qui rassemble des données déterminées en vue du contrôle et de l'exploitation de ces données". Les données ainsi collectées sont à la disposition des inspecteurs sociaux et des institutions de sécurité sociale qui peuvent "les échanger entre eux et les utiliser dans le cadre de l'exercice de leurs missions attribuées en vertu de la loi". Les inspecteurs sociaux peuvent, de leur propre initiative ou sur demande, communiquer les données à des services d'inspection étrangers. Un arrêté royal devrait préciser l'accès à ces données par d'autres personnes (le maître d'œuvre pour son chantier; l'administration publique dans le cadre d'un marché public; l'employeur pour ses travailleurs; le travailleur pour ses prestations; les autres personnes pour leurs prestations).
Les deux dispositifs se complètent donc, sachant que le second a un champ d'application plus large puisque imposé par la loi alors que le premier sera inscrit dans une convention collective dont le champ d'application est limité aux entreprises qui en relèvent. Le dispositif du port de badge exclura donc les travailleurs indépendants et les entreprises étrangères détachant du personnel sur le site qui ne relèvent pas de la convention collective même si elles doivent en respecter certaines stipulations.
Sur le site de Flamanville en France, le port de badge vise plusieurs objectifs simultanés: contrôler et identifier les personnes physiques accédant au chantier et présentes sur le site, la qualité des personnes (employeurs, salariés, indépendants, quelle que soit sa place dans la chaîne de sous-traitance), mais également l'aptitude médicale et la formation à la sécurité, le badge n'étant délivré qu'après suivi d'une session de formation à la sécurité.
Conclusion
Points communs: Le port de badge et le dispositif d'enregistrement visent à identifier toute personne présente sur le chantier pour lutter contre les fraudes et gérer les conditions de sécurité.
En Finlande, le port de badge est obligatoire sur les sites de construction sur lesquels au moins deux sociétés ou travailleurs indépendants interviennent simultanément ou durant toute la durée du chantier. Toute personne présente sur le chantier doit porter le badge permettant son identification. Le statut de la personne et la durée de sa présence n'a pas d'importance (salariés ou travailleurs indépendants); les seules exceptions concernent les personnes livrant des biens de consommation temporairement et les chantiers au bénéfice des particuliers.
En Belgique, le port de badge est à l'état de projet porté par les partenaires sociaux de la construction. Il devrait être inscrit dans une convention collective qui pourrait acquérir valeur règlementaire sur décision du gouvernement. Le port obligatoire du badge ne concernera que les employeurs et les salariés couverts par la convention collective.
Parallèlement la loi du 27 décembre 2012 a instauré une "obligation d'enregistrement électronique des présences sur les chantiers temporaires ou mobiles dans lesquels sont effectués des travaux par au moins deux entrepreneurs, qui interviennent simultanément ou successivement et qui concernent des ouvrages dont la surface totale est 1 000 m2 ou plus".
Si cette loi n'instaure pas un port obligatoire de badge, les objectifs qu'elle poursuit sont en partie identiques. Les employeurs, entrepreneurs ou de sous-traitants exerçant des activités pendant la phase d'exécution de la réalisation de l'ouvrage, les travailleurs et personnes assimilées qui exécutent des activités pour les employeurs, les indépendants en qualité d'entrepreneur ou de sous-traitant et le maître d'œuvre chargé de l'exécution doivent enregistrer leur présence sur le chantier au moyen d'un système électronique d'enregistrement de présence ou toute autre méthode d'enregistrement automatique offrant des garanties équivalentes.
En France, le port de badge n'est pas obligatoire sur les chantiers de la construction. Le site de construction de l'EPR de Flamanville pratique le port de badge en vertu de prescriptions particulières applicables aux installations nucléaires.
Conclusion
Ces 3 exemples indiquent une grande diversité des conditions de mise en œuvre du port de badge : cadre national et règlementé (Finlande et Belgique pour le dispositif d'enregistrement), cadre local et sectoriel (France), national et négocié (Belgique pour le badge).
Le port permanent d'un badge pour toute personne présente sur le chantier permet à tout un chacun de contrôler directement les personnes présentes et chaque entreprise est responsable à son niveau du respect de cette obligation (Finlande). Le dispositif d'enregistrement ne permet un contrôle qu'aux entrées et sorties du chantier mais ne permet pas de contrôler la qualité des personnes présentes in situ (Belgique). Le port d'un badge imposé aux seules entreprises liées par la convention collective en réduit la portée et l'utilité.
En Finlande, la carte se présente comme une carte d'identité avec des mentions obligatoires : photo, nom de la personne, nom de employeur réel (celui assurant le versement de la rémunération) ou du travailleur indépendant, n° fiscal du registre fiscal public finlandais. Dans la puce peuvent être rajoutées des données complémentaires utiles.
Les données du badge ne sont pas exploitées en tant que telles et n'alimentent pas de registre sauf le n° fiscal qui est enregistré dans la base de l'administration fiscale
Mais le maître d'œuvre est tenu de connaître toutes les personnes travaillant sur son chantier et les employeurs sont tenus de lui communiquer ces données. A compter du 1 juillet 2014 (réforme de la loi sur HS) le maître d'œuvre sera tenu de fournir aux inspecteurs du travail une liste à jour de toutes les personnes travaillant sur son site et de donner des informations complémentaires à l'administration fiscale.
Henkilö = nom de la personne
Veronumero = numéro fiscal, date d'entrée en vigueur
Yritys = entreprise, numéro de registre
Voimassa = période de validité de la carte
En Belgique, le badge devrait comporter la photo et le nom du titulaire, l'identité de l'employeur et l'année de validité. Dans la puce les données seraient identiques et s'ajouteraient les formations santé/sécurité suivies.
Le dispositif d'enregistrement vise les personnes physiques: "Toute personne qui se présente sur un chantier temporaire ou mobile est tenue d'enregistrer immédiatement et quotidiennement sa présence sur le chantier". Les données collectées par le dispositif d'enregistrement obligatoire sont des données relatives à l'identification de la personne physique, sa qualité, les données d'identification de l'employeur s'il y a lieu, les données d'identification du client pour le compte duquel le travailleur indépendant fournit la prestation, la localisation du chantier, le moment de l'enregistrement.
Sur le site de Flamanville, l'obtention du badge suppose de fournir les nom, prénom, nationalité, date de naissance, adresse et n° d'identité du salarié ainsi que sa profession, qualification, les dates de son intervention et les dates de validité de son aptitude médicale. Une photo est réalisée par l'entreprise de gardiennage confectionnant le badge. Les renseignements concernant l'entreprise pour laquelle le salarié intervient visent à identifier l'entreprise, sa place exacte dans la chaine de sous-traitance et ses partenaires contractuels (n° de marché et coordonnées des entreprises titulaires et sous traitantes). Le badge indique les noms et prénoms de la personne, sa photo, l'entreprise d'appartenance, un numéro de badge permettant l'identification électronique lors du franchissement de l'accès et de la sortie. Un code couleur indique s'il s'agit d'un accès normal ou prioritaire, y compris hors heures d'ouverture. Au verso figurent des informations sécurité (numéros à appeler en cas d'accident).
Le badge a une validité maximale d'un an.
Pour les personnes étrangères aucun accès n'est possible sans l'accord préalable de la préfecture, y compris pour les ressortissants de l'UE.
Pour les salariés détachés, les renseignements à fournir sont ceux figurant sur la déclaration de détachement envoyée à l'autorité de sureté nucléaire.
Conclusion
Les données à fournir en contrepartie de la délivrance du badge sont plus ou moins exhaustives.
Les données collectées alimentent une base de données à destination du maître d'ouvrage (Flamanville) ou des autorités publiques (Belgique pour le dispositif d'enregistrement).
En Finlande l'objectif est plutôt de contribuer à la transparence des relations de travail sur le chantier sans que les données n'alimentent une base de données.
Cette dernière existe déjà, gérée par l'administration fiscale et a enrichi le contenu du badge.
La nouvelle obligation du maître d'ouvrage pourrait changer la donne et l'inciter à gérer une base de données.
En Finlande, l'information relative à cette obligation est gérée dans le cadre des appels d'offre et des contrats conclus entre les entreprises puisqu'elles sont solidairement responsables à l'égard de cette obligation. Les salariés sont ensuite informés par leur employeur et tout le monde dans le secteur de la construction connaît cette obligation.
En pratique le badge est donné soit par le maître d'œuvre, soit par l'employeur.
Le non respect du port de badge constitue une contravention en violation des règles de sécurité au travail (sanctionné en moyenne de 6-20 jours amendes). La responsabilité pèse sur le maître d'œuvre qui a la responsabilité du chantier. Les employeurs sont également responsables de leurs salariés. La responsabilité du maître d'ouvrage peut aussi être recherchée s'il n'a pas veillé à imposer cette obligation dans le contrat avec le maître d'œuvre ou s'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour corriger une situation dont il était informé.
En Belgique, la responsabilité du port de badge repose sur l'employeur. Les données seraient collectées par le Fonds de sécurité d'existence de la construction (fonds paritaire sectoriel), à partir des bases de données de la sécurité sociale et le fonds serait chargé de délivrer le badge.
Pour ce qui concerne le dispositif d'enregistrement obligatoire, le Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale est le responsable du traitement des données.
La mise en œuvre du dispositif d'enregistrement repose sur le maître d'oeuvre qui met l'appareil d'enregistrement à la disposition des entrepreneurs à qui il fait appel. Chaque entrepreneur est tenu d'utiliser le dispositif et est lui-même responsable vis-à-vis des sociétés auxquelles il fait appel : il doit leur mettre à disposition le dispositif d'enregistrement. Ces obligations se répètent ainsi à chaque niveau de la chaîne de sous-traitance.
Chaque entreprise est par ailleurs responsable des données transmises et de l'effectivité de la transmission vers la base de données. Si elle fait appel à un sous traitant, elle prend des mesures afin que son cocontractant enregistre toutes les données effectivement et correctement et les transmette vers la base de données.
La responsabilité est donc présente à chaque niveau de sous-traitance et se résume par : "Tout entrepreneur et tout sous-traitant veille à ce que chaque personne soit enregistrée avant de pénétrer, pour son compte, sur le chantier temporaire ou mobile."
En France, sur le site de Flamanville, chaque employeur désigne les personnes devant disposer d'un badge mais c'est le maître d'ouvrage qui délivre les badges après contrôle du respect de la procédure d'attribution des badges et présentation des justificatifs nécessaires (certaines catégories de personnel font l'objet d'un accord préalable de la Préfecture). Les badges strictement personnels doivent être portés et peuvent faire l'objet de contrôle par la société de gardiennage. Chaque franchissement des portiques entrée et sortie est enregistré électroniquement.
Conclusion
Le badge est soit délivré exclusivement par le maître d'ouvrage (Flamanville) qui contrôle les conditions à remplir, soit par le maître d'ouvrage ou l'entreprise employeur (Finlande), soit par un organisme paritaire (Belgique pour le badge). Le dispositif d'enregistrement belge reporte sur chaque entreprise présente, à quelque niveau que ce soit, l'obligation de mettre à disposition le dispositif d'enregistrement et de veiller à l'exactitude des données transmises.
L'efficacité des différents dispositifs n'a pas été évaluée dans le cadre de ce travail.