Par comparaison avec l'évaluation des études de 2003, une plus grande divergence en termes de transposition et d'application effective a été constatée. Au moment où la Directive a été conclue au début des années 90, il était impossible de prévoir les conséquences de l'élargissement de 2004, avec une proportion élevée d'États n'offrant aucun engagement en faveur de la convention collective comme moyen de réglementation des normes de travail. Un second développement a été l'extension et l'intensification du travail des agences, de la sous-traitance et de l'externalisation dans de nombreux segments du marché du travail. Les deux développements ont eu un impact significatif sur la façon dont le détachement est effectivement organisé en pratique. Aujourd'hui, l'utilisation du mécanisme de détachement s'étend du partenariat de longue date normal et honnête entre les partenaires contractants aux pratiques de fausses sociétés-écrans en matière de recrutement de main d'œuvre uniquement. Dans le rapport du CLR de 2011, quatre applications du recrutement transfrontalier lié au détachement ont été distinguées.
- Détachement normal
avec des sous-traitants spécialisés fournissant des services temporaires dans un autre État membre de l'UE avec des travailleurs compétents ou des effectifs qualifiés bien payés appartenant à la main d'œuvre de base des sociétés d'envoi
- Détachement légal
sous la forme d'un contrat de sous-traitance de main d'œuvre uniquement où le calcul consiste à déterminer s'il vaut mieux embaucher une main d'œuvre nationale ou aller chercher une main d'œuvre à l'étranger au titre de la "libre prestation de services". D'après le raisonnement suivi, un prestataire proposant des travailleurs provenant d'un pays où les charges sociales sont faibles est moins cher qu'un prestataire national. Le caractère légal du détachement peut être remis en cause si des éléments comme les longues heures de travail et les mauvaises conditions de vie et de travail entrent en ligne de compte
- Pratiques douteuses de détachement "légal"
où la main d'œuvre recrutée qui est légalement détachée est confrontée à des déductions au titre des coûts administratifs, du logement et du transport et des taxes ainsi qu'au remboursement obligatoire (après le retour au pays d'origine) des paiements salariaux (minimum). Ces pratiques constituent une infraction claire à la Directive "Détachement".
- Enfin, différents types de "faux" détachement :
la copie et la distribution à toute une équipe de travail de formulaires E 101/A1 falsifiés, le recrutement de travailleurs détachés qui étaient déjà dans le pays hôte, la transformation de travailleurs en faux indépendants, le recrutement via des sociétés-écrans et des factures non vérifiables pour la prestation de services.
Le recours au détachement dans des segments à forte main d'œuvre du marché du travail n'aboutit pas nécessairement à une détérioration des conditions de travail mais cela a ouvert la voie à de nouvelles formes de recrutement non prévues par les législateurs. Le problème se pose dès que la sous-traitance transfrontalière de main d'œuvre uniquement est présentée comme une prestation de services. C'est notamment le cas lorsque les sociétés transfèrent le recrutement de main d'œuvre à de petits sous-traitants, ce qui aboutit au recours à des agences, à des rabatteurs de main d'œuvre et à d'autres intermédiaires. Ces agences deviennent le lien entre le travailleur et l'entreprise utilisatrice ou le sous-traitant spécialisé. La distorsion du marché du travail est potentiellement importante car la minimisation des coûts de main d'œuvre pourra se révéler très intéressante du fait de l'apport d'un élément non documenté sur une partie du travail officiel. Le détachement, à son niveau plus bas, concerne alors une offre de main d'œuvre illégale via des agents ou des rabatteurs de main d'œuvre. Des groupes de travailleurs sont recrutés via des sociétés écrans, des annonces et des réseaux informels. Le détachement devient donc l'une des voies pour l'offre transfrontalière de main d'œuvre peu onéreuse sur le marché unique sans référence au libre mouvement des travailleurs et aux droits qui peuvent dériver du droit européen relativement à la migration de main d'œuvre véritable.
Sur la base des recherches du CLR, il peut être conclu que la surveillance des règles de détachement est difficile et entravée par les limitations de la Cour de justice européenne, que les sanctions pour manquement ne sont pas assez lourdes, que les amendes sont faibles dans un contexte territorial et que, dans la plupart des pays, il n'y a pas d'instruments d'application spécifiques au détachement. Un examen précis du phénomène amène à conclure qu'une concentration des travailleurs détachés dans les échelons plus bas des marchés du travail et dans des régions, segments et secteurs spécifiques implique des risques sérieux (altération de la concurrence, érosion des droits des travailleurs et non-respect des règles obligatoires). Les conditions de travail - les salaires en particulier - proposées aux travailleurs détachés, si elles ne sont pas soumises à une surveillance et une application appropriées, pourront nuire aux conditions minimales établies en droit ou négociées en vertu de conventions collectives généralement applicables.
Il existe des preuves montrant que la fin des règles de transition sur l'accès au marché du travail pour les citoyens de l'UE8 a abouti à une substitution significative de faux détachements par le recrutement individuel direct d'agences de travail temporaire. Comme ils n'ont plus besoin de permis de travail, les travailleurs arrivent par le biais de formes de travail plus directes, comme les travailleurs intérimaires ou les indépendants. Dès lors, outre l'utilisation (abusive) des règles de détachement, le travail des agences transfrontalières et la prestation de services par des (prétendus) indépendants peuvent constituer des méthodes visant à contourner les droits basés sur la migration de la main d'œuvre. Dans ces cas de figure, les règles de détachement ont été utilisées comme méthode de transition et voie de recrutement de travailleurs intérimaires provenant des pays de l'UE8 passant par le contournement des restrictions applicables au marché du travail avec une main d'œuvre invisible sur les lieux et un règlement par le biais d'une facture du prestataire de services au principal contractant ou au client. La CE a admis que, si cet écart se produit à grande échelle, ceci risque de nuire à l'organisation et au fonctionnement des marchés du travail locaux.